28. Ces apparences (habs)bourgeoises qui rachèteraient tout

Après avoir une nouvelle fois rappelé qu'au point de lecture où nous en sommes, nous n'avons encore rencontré, dans l'Introduction rédigée par Robert Conquest, aucun élément négatif qu'il fût possible de mettre au débit de Staline, venons-en à l'homme lige suivant :
"Kirov avait adhéré au Parti dès 1904 à Tomsk. Il était alors âgé de dix-huit ans. Arrêté et déporté à quatre reprises sous le régime tsariste, il dirigea l'organisation bolchevique de Vladicaucase, pendant la révolution de février 1917 - un poste d'importance secondaire, mais qui permettait au militant clandestin de faire ses preuves."

Où nous retrouvons cette caractéristique que nous ne cessons de rencontrer dans l'entourage de Staline : il s'agit d'hommes désormais expérimentés, et ceci pour avoir eu des responsabilités et subi les coups de la répression depuis bien longtemps.

"Il était lui aussi [comme Ordjonikidze, donc, à qui précédemment il était pourtant fait grief d'avoir eu à subir les foudres de Lénine pour son comportement prétendument violent en Géorgie] dépourvu de certaines des pires caractéristiques staliniennes [à l'endroit où nous en sommes de notre lecture, nous attendons encore de savoir quelles elles sont] et jouissait également d'une assez grande popularité dans le Parti."

Arrêtons-nous un tout petit instant sur cette notion de "popularité", pour simplement remarquer qu'elle est corrélative au fait que nous sommes ici en présence de responsables bolcheviques qui incarnent la majorité. Il ne peut donc pas s'agir d'une popularité d'estrade... C'est très exactement ce souci d'incarner, par son comportement et par les décisions qu'il sera amené à prendre, la majorité du peuple soviétique, qui accompagnera Staline tout au long de sa vie politique.

Cependant, sous la plume de Robert Conquest, Kirov - quoique d'abord présenté comme un stalinien typique - continue à se démarquer très nettement de l'image que l'auteur s'efforce de donner des staliniens en général... et de Staline lui-même, mais de façon détournée, puisque toujours sans preuves :
"Il était russe, contrairement à Staline et, à la différence des staliniens, c'était un excellent orateur [mais sans doute pas seulement un homme d'estrade]. Bien qu'il ait fermement soutenu sa politique de collectivisation et d'industrialisation, il était apparemment exempt de la perversité qui caractérisait Staline et ses acolytes."

Encore une attaque indirecte qui s'offre comme faisant référence à une évidence partagée par tout un chacun : la perversité de Staline et de ses acolytes... dont Kirov n'aurait pas fait partie, pas plus sans doute qu'Ordjonikidze, et de quelques autres, comme nous ne devrions pas tarder à le constater.

Pas de preuves et pas même de personnages précis à incriminer jusqu'à l'endroit de la liste des hommes liges où nous en sommes. Robert s'amuse de notre impatience à rencontrer enfin des preuves, des documents, des témoignages crédibles, etc... De sorte que, tout en se payant la tête du brave Staline, il se paie manifestement la nôtre.

Mais voici que nous allons un peu mieux comprendre son point de vue, et ce qui vaut à Kirov d'échapper au foudre du grand procureur que notre Robert est parvenu à être dans l'affaire Staline :
"Malgré sa brutalité, il ne se montra jamais ni cruel ni servile [ce qui est bien sûr typiquement stalinien]. Un communiste étranger [resté anonyme ici], qui eut souvent affaire à lui [raison de plus de taire son nom], déclare que l'ambiance de son bureau de Leningrad n'avait rien de révolutionnaire [tout est là] : « Par ses remarques et ses méthodes, il me rappelait les hauts fonctionnaires cultivés de l'administration autrichienne que j'avais connus à Brünn. »

Ce qui suffirait, bien sûr, à en faire quelqu'un de bien, pour autant que ce genre de considération puisse prouver quoi que ce soit : ils avaient décidément du bon, les Habsbourg !