15. "La modération, le bon sens et la compréhension de Staline", signé Harry Hopkins

Le troisième paragraphe a ceci de remarquable qu'il est le plus long de l'Introduction : il n'est en effet pas éloigné de couvrir toute une page. Dans un style cette fois apaisé, Robert Conquest nous présente un portrait tout à fait crédible de Trotski, et conclut son propos sur une phrase qui tranche avec l'ordinaire de ce qui lui vient à la plume dès qu'il se rapproche du nom de Staline.  En effet, évoquant les "communistes intransigeants" qui avaient adhéré depuis le début des années 20 aux opinions professées par Trotski, il écrit :
"En 1928, lorsque Staline lui-même se tourna vers la « gauche », la plupart d'entre eux cessèrent de soutenir Trotski dans son opposition."

Il n'est pas dit qu'il y serait allé avec les fusils...

Le quatrième paragraphe évoque brièvement la personnalité de Pyatakov, tandis que le cinquième établit une courte liste des principaux compagnons de route de Trotski : Krestinski, Rakovski, Preobrajenski, et surtour Radek - dont, comme nous l'avons vu précédemment, un des propos avait été mis en exergue pour opposer la classe ouvrière à ce que le Parti de Lénine était devenu... Pour aider si nécessaire à mieux situer ce Radek, il n'est que de redonner ici les derniers mots que Robert Conquest lui consacre dans ce même paragraphe :
"Aux yeux de ses collègues du Parti, il passait pour un discoureur cynique, brouillon et peu sérieux." Dont acte.

Et nous voici parvenu(e)s au sixième paragraphe qui vaut, lui, d'être repris dans son intégralité :
"Trotski se trouvait parfaitement isolé au sein du Politburo lui-même. Sa plus grande force résidait dans son titre de commissaire à la Guerre. Par la suite, un ancien trotskiste soutint qu'il aurait pu triompher en 1923 s'il avait eu recours à l'armée et aux travailleurs du Parti dans les grandes villes. S'il ne l'a pas fait, ajoute ce même observateur, c'est qu'il craignait de provoquer une scission à l'intérieur du Comité central et qu'il espérait obtenir la victoire par la négociation."

En d'autres termes, Trotski aurait pu chasser, à partir de sa fonction de commissaire à la Guerre et en utilisant l'armée tout spécialement, un Politburo dans lequel il était tellement minoritaire qu'il y était le seul à être de son opinion... Et il ne l'a pas fait parce que l'organe principal, le Comité central, aurait été un os trop difficile à avaler par le seul moyen de la violence armée...

C'est alors que la citation qui accompagne le septième paragraphe se trouve être parti-culièrement bien venue. Elle émane de E. H. Carr (1958) :
"Trotski était capable de déchaîner des tonnerres d'applaudissements et d'entraîner les foules, mais il ignorait l'art de s'imposer à ses égaux. Il ne savait pas établir son autorité par la persuasion ni écouter d'une oreille patiente les opinions de collègues d'un niveau inférieur au sien. Il ne supportait pas les sots et on l'accusait de ne pas souffrir les rivaux."

Après quoi, que restera-t-il à faire de ce personnage-là ? Essayer de lui donner, à tout prix, le pas sur un Joseph Staline dont, au sortir de la conférence de Yalta (4-11 février 1945), le conseiller spécial du président des Etats-Unis (Roosevelt), Harry Hopkins écrira :
"Les Russes avaient prouvé qu'ils savaient être raisonnables et clairvoyants, et il ne faisait aucun doute dans l'esprit du président et d'aucun d'entre nous que nous pouvions vivre avec eux et en bonne harmonie aussi longtemps que nous pouvions l'imaginer. Je dois néanmoins émettre une réserve : je pense que nous avions tous les sentiment d'être incapables de prévoir ce qui se passerait s'il arrivait quoi que ce soit à Staline. Nous ne doutions pas de pouvoir compter sur sa modération, son bon sens et sa compréhension - mais nous ne pouvions jamais être sûrs de qui, ou de ce qui, risquait de le manoeuvrer là-bas, au Kremlin."

Quoi ? Ce criminel !