76. L'annonce d'une mise en cause globale des institutions soviétiques

Robert Conquest ne nous a pas dit à quel moment la "plate-forme Rioutine" avait pu être mise au point, ni à quel autre moment elle avait été découverte par le pouvoir soviétique. Nous ne savons donc pas si elle a été un des éléments de la première grosse contrariété rencontrée par Rioutine lui-même, ou si celle-ci n'aura tenu qu'aux soupçons que son comportement avait pu faire naître :
"Rioutine fut exclu du Parti en septembre 1930 et arrêté six semaines plus tard. Toutefois, le 17 janvier 1931, le collège de l'OGPU jugea qu'il n'avait pas eu d'intention criminelle ; il fut relâché et réintégré plus tard dans le Parti avec un avertissement." (sixième paragraphe en entier)

C'est donc que pour sanctionner Rioutine - dans cette si cruelle dictature stalinienne -, il aurait fallu une "intention criminelle" accompagnant des actes qui laissaient à penser qu'elle aurait pu s'y trouver... Mais elle n'y était pas, ou tout au moins n'en avait-on pas la preuve. Or, comme nous l'avons vu précédemment aussi bien pour Trotski, Zinoviev, Kamenev et Boukharine, dans ce nouveau cas encore, la réintégration dans le Parti n'aura guère tardé à être offerte à la personne mise en cause : système "stalinien" décidément intraitable... qui massacre les opposants à tour de bras... à peine ont-ils un peu élevé la voix.

Mais, comme dans les cas précédents, cette magnanimité n'aura également pas tardé à produire des effets tout ce qu'il y a de plus significatif. C'est ce qui fait le contenu du septième paragraphe dont voici le début :
"En juin 1932, Rioutine et un groupe de communistes moins importants rédigèrent un « Appel à tous les membres du parti communiste de l'Union (bolchevique) » au nom d'une « Conférence de l'Union des marxistes-léninistes ». Ce document, beaucoup plus court, a récemment été publié à Moscou où l'on considère désormais Rioutine comme un modèle de la lutte contre le stalinisme."

Evidemment, le "on" qui "considère, etc." mériterait quelques explications. Mais, il est vrai, que, très vite après la disparition de Staline, Khrouchtchev et quelques autres ont entamé le processus de destruction de l'Union Soviétique... D'où l'intérêt d'établir le lien entre ces lendemains de la Seconde Guerre mondiale et les adversaires de Staline dans les années trente...

Quels autres éléments apporte ce second document ?...
"Il insiste encore davantage sur la destruction des campagnes, l'absence de toute véritable planification, l'anarchie et la terreur imposées aussi bien au sein du Parti que dans les campagnes par « des individus malhonnêtes, rusés et sans scrupules, prêts à changer dix fois d'avis sur l'ordre de la direction, des carriéristes, des flatteurs et des laquais »."

Comme on le constate, si elle se trouve par ailleurs précédée de "l"anarchie et de la terreur" qui nous sont données comme étant de la seule plume de Robert lui-même, la partie véritablement citée met en cause, au titre d'une éventuel arrivisme, la soumission aux directives émanant de la hiérarchie administrative... Ne sait-on par ce que sont des obligations qui s'exercent nécessairement, dans chaque pays du monde, tout au long de la pyramide de la fonction publique sous l'autorité des responsables politiques ? N'y a-t-il pas des lois et des règlements à appliquer et qui ne peuvent que transiter à travers toute l'administration ? Le secteur privé fonctionne-t-il lui-même autrement dans le contexte qui est le sien ?

Mais qui pourrait reprocher à Rioutine de donner son avis, s'il n'en profitait pour lancer un "Appel à tous les membres du parti communiste de l'Union (bolchevique)" au nom d'une "Conférence de l'Union des marxistes-léninistes", tandis qu'il se place directement en dehors même de la conception léniniste approuvée par la majorité écrasante de la population soviétique ? Que veut-il obtenir de cette action ? Dans quel cadre espère-t-il pouvoir lui faire donner tous ses effets ?... C'est ce qu'il vaut la peine de regarder de plus près.