83. Rien qu'un pas-à-pas parmi d'abominables découvertes

Accoutumés, désormais, à suivre Robert Conquest dans le mot-à-mot, il nous devient extrêmement difficile de nous éloigner, ne serait-ce qu'une seconde, de son texte. Le diable pourrait très bien se nicher dans les détails – comme il paraît qu'il a l'habitude de faire -, et nous ne voudrions rien manquer des arguments tous plus scientifiques les uns que les autres grâce auxquels notre guide a parfaitement réussi à convaincre Staline, sous nos yeux, de plusieurs millions de crimes... dont aucun n'a encore été commis...

Mais, patience. Certes, jusqu'à présent, Joseph Staline n'a apparemment tué personne. Mais nous savons qu'il ne pense qu'à cela nuit et jour et que c'est le premier pas qui coûte. C'est donc assez logiquement que Robert Conquest nous tient en haleine. Mais nous ne doutons pas qu'il va finir par y avoir des morts. Et d'abord Kirov.

En attendant, Staline ronge son frein... Et nous avec lui. Mais voici que – tout à coup et sans la moindre raison – un processus fou se met en marche dont le très long dix-septième paragraphe nous rend un compte apparemment précis :
"Le Comité central et la Commission centrale de contrôle se réunirent du 28 septembre au 2 octobre 1932. (Zinoviev, Kamenev et d'autres avaient déjà comparu devant le praesidium de la Commission de contrôle ; si les deux premiers y avaient exprimé leurs regrets, Ouglanov passe pour avoir « accusé ses accusateurs ».) Rioutine et ses partisans furent exclus du Parti en tant qu' « éléments dégénérés devenus des ennemis du communisme et du régime soviétique, en tant que traîtres au Parti et à la classe ouvrière qui, sous le couvert d'un faux "marxisme-léninisme" [avaient] chercher à créer une organisation de koulaks-bourgeois en vue de la restauration du capitalisme en URSS ». Rioutine fut condamné à dix ans de prison et vingt-neuf autres personnes à des peines plus légères."

Après avoir noté cette nouvelle apparition de quelqu'un (Ouglanov) qui "passe pour...", il ne nous reste plus qu'à croire que les sanctions infligées n'auraient tendu qu'à frapper des délits d'opinion... puisque rien ne nous est dit des faits et gestes de Rioutine et consorts... Auquel cas, nous aurions évidemment affaire, pour celui-ci, à une sanction excessivement lourde.

Mais d'assassinat par Staline, il n'y en a pas encore...

Peut-être dans le dix-huitième paragraphe que voici ?...
"Le plénum adopta une autre résolution, celle d'exclure « immédiatement du Parti en tant qu'ennemis cachés du Parti et de la classe ouvrière tous ceux qui connaissaient l'existence de ce groupe contre-révolutionnaire, et notamment ceux qui avaient lu les documents contre-révolutionnaires sans en informer la CCC [Commission centrale de contrôle] et le CC [Comité central] du parti communiste de l'Union (bolchevique) ». Elle portait la signature de Staline."

Signature d'une main criminelle, bien sûr, mais sans encore aucun crime... 

Et le massacre de se poursuivre allègrement (dix-neuvième paragraphe) :
"Zinoviev et Kamenev furent de nouveau expulsés du Parti et déportés dans l'Oural. Ivan Smirnov qui, après sa réintégration dans le Parti, avait obtenu la direction des usines automobiles Gorki, fut arrêté à nouveau peu après et condamné à dix ans de détention à Souzdal. Smilga et Mratchkovski furent renvoyés à Verkhné-Ouralsk pour une période de cinq ans."

Voilà donc des récidivistes... A noter surtout le sort plus qu'abominable de ce pauvre Smirnov qui avait dû subir cette terrifiante nomination à la direction des usines automobiles de Gorki après sa réintégration dans le Parti...

Encore notre bon Robert n'a-t-il jusqu'ici fait qu'évoquer quelques-uns de ces individus remarquables dont Staline n'a pas hésité à dire qu'ils se prenaient pour des grands seigneurs... Nous allons maintenant atteindre les grandes masses du pire des génocides jamais encore rencontré sur notre bonne terre : l'épuration du début de l'année 1933, juste au moment où s'annonçait le triomphe d'un quelconque Hitler !...